Textes écrits sur mon travail artistique
Piste
Une allée aux cristaux rares
Une lithoscopie
Piste
Au cur des gemmes imaginaires
C'est ainsi que je reçois les épousailles
des traits, des saignées, des ouvertures, des grattages
des gravures de Corinne Leforestier.
Il y a dans la description des montagnes, des
cimes qui entrent profondément dans nos chairs autant qu'elles
élèvent nos émotions. Point de douleur, mais
un forte tension qui rend compte de l'instant précis où
l'outil de l'artiste déchire la plaque et celui où
s'enfonce sa joie.
Les gravures de Corinne semblent être
des paysages que l'on retrouve au grès des promenades dans
le Pays Dignois comme dans toutes autres régions du monde.
Ce pays est la synthèse de toutes leurs beautés.
Corinne ne s'est pas trompée. Ses encres comme ses eaux
fortes témoignent d'une abstraction de l'espace. Elle nous
propose des allées et venues entre l'Orient de son choix
et le pays où elle réside.
J'aime ce que fait Corinne, justement, parce qu'elle m'invite
à des voyages dont les déplacements sont ceux de
l'âme vers sa propre source, ceux de notre chair sur les
douces arêtes des roches indigènes.
Une piste vers les natifs
une voie qui
désigne un diamant personnel
un point entre le nadir
et le zénith
invisible et présent partout,
par lequel parle le cur des Pierres et celui des Hommes.
Pierre BONNET - mars 2008
|
Pourquoi
à un moment donné, la main, le pinceau s'arrêtent-ils
?
On y est. C'est là.
Et commence la relation étrange de l'uvre et du regard.
Couleurs, mouvements. Apparu, disparu. Rien n'est arrêté.
Tout advient. Un rayon de lumière passe, met en vibrations
ou en ruissellements la couleur, incise ou disperse le trait.
On est alors confronté à un jeu subtil entre couleurs,
textures et dessins qui se cherchent, se confrontent, se figent
ici pour renaître là dans le fusionnel. Et cela chante,
et cela circule, enveloppe, apaise ou inquiète. Ombre déjà
ténue d'une souffrance, d'une révolte, affirmation
heureuse d'une éclosion dans la mystérieuse saisie
de l'étant, au-delà de l'appel d'un devenir.
Advient l'uvre dans une indicible préhension du Réel.
Harmonie ou rupture dans l'instant évanescent de la confrontation.
Nicole
Tanguy - 2004
|
du
côté des livres sur l'Art, des biographies d'artistes,
quelques phrases qui toujours m'accompagnent ....
Paul Klee
"L'art ne rend pas le visible, il
rend visible."
"Tout visible est un invisible élevé
à l'état de mystère."
Braque
"Dans l'art le monde se dévoile
dans une Sensation Révélation."
" Le destin de l'art est celui de l'étonnement
où s'éveillent les transcendances."
J'ai fait une grande découverte. Je ne
crois plus à rien. les objets n'existent pas pour moi,
sauf qu'il y a un rapport harmonieux entre eux, et aussi entre
eux et moi. Quand on arrive à cette harmonie, on arrive
à une espèce de néant intellectuel. Comme
ça tout devient possible, tout devient apte, et la vie
est une éternelle révélation. Ca c'est la
vraie poésie.
Abraham Heschel,
"L'art et la mystique se définissent
comme une expérience de "stupéfaction radicale."
" Le mystique en nous est littéralement
bouche bée devant l'aspect formidable des choses."
"L'émerveillement est le
début de la sagesse et précède la foi. "
Kundera
"Le regard de l'artiste est ébloui,
il voit à travers l'écran dans l'ombre d'une matière
opaque, il aperçoit la lumière invisible. Il éclaire
de l'intérieur une matière qui devient alors écrin
et vitrail qui surgit de ses mains. L'artiste n'invente pas des
abstractions, il dévoile ce qui est caché dans l'ombre
des choses."
"L'artiste simplement voit ce qui est,
là, derrière le miroir, au dedans, alors que nous
n'étions pas là, nous étions au dehors sans
voir. Il nous invite à entrer, il rend visible ce qui est
caché là."
"Son regard s'oppose au regard hypnotique
du pouvoir, du savoir et de l'avoir .Le regard d'amitié
unifie et réconcilie les contraires, il s'oppose au regard
totalitaire et fractionné. Le regard de l'artiste est un
regard d'espérance qui voit ce qui est à venir,
en train de venir par sa médiation."
"Il n'a pas peur du vide des choses,
il ose les regarder dans leur néant . Il sait affronter
l'angoisse et n'a pas peur d'être exclu du mystère
auquel il participe."
Muso Soséki
"J'ai jeté cette petite chose
qu'on appelle 'Moi' et je suis devenu le monde immense."
Quelques phrases tirées du livre de
Charles Juliet, "Rencontres avec Bram van Velde",
Fata Morgana, 1978,
" Les hommes vivent en pleine illusion.
Mais malheur pour qui en prend conscience."
"Le plus difficile c'est quand on ne fait
rien. Qu'on 'a pas la force de travailler."
"Quand je peins je ne sais pas ce que je
fais, où je vais. Il me faut chercher une issue. Je travaille
jusqu'à ce que je n'aie plus à intervenir."
"Quelque chose cherche à naître,
mais je ne sais pas ce que c'est. Je ne pars jamais d'un savoir.
Il n'y a pas de savoir possible.
"Pour s'approcher du vrai, il faut passer
par la destruction."
"Le vrai dérange, il fait peur.
Le monde s'acharne à l'étouffer. Le faux a toutes
les chances, et le vrai ne survit que par miracle."
"Peindre, c'est essayer d'atteindre le
vrai."
"Toute sécurité doit être
détruite"
"Il faut consentir à l'écrasement."
"il est terriblement difficile de
s'approcher du rien."
"Les mots massacrent. Il n'y a que le vide
et le monde du silence qui soit immenses. Quand on accède
au sublime, c'est l'émerveillement."Je suis un homme
de nulle part."
"Oui faire retour. Renverser ce mouvement
qui nous pousse à nous déverser à l'extérieur,
nous le rendre propice, le saisir dans nos serres. Inverser notre
regard pour lui permettre de fouiller l'il dont il émane.
Tenter de nous situer en amont de notre source, et là,
essayer de devenir à nous-même notre propre cause.
Ou encore, travailler à nous annihiler, puis ramper remonter,
franchir la cluse, ré-envahir les eaux tièdes de
l'origine. Consentir à ce besoin de retrouver la félicité
initiale."
Van Gogh
" Qu'est-ce que dessiner : c'est l'action
de se frayer un passage à travers un mur de fer invisible
qui se trouve entre ce qu'on sent et ce que l'on peut ".
François Darbois
"Entre les mystiques, les musiciens et
les poètes, il y a une secrète parenté :
c'est dans l'amitié que les poètes ont pour les
choses, que nous pourrons connaître ces gerbes d'instants
qui donnent valeur humaine à des actes éphémères.
"
"Art et transcendance se rencontrent
quand un homme surmonte ses peurs et se rend disponible dans un
lâcher prise de toutes représentations, qu'elles
soient religieuses, culturelles ou artistiques. L'art n'est pas
spirituel en lui-même, comme le spirituel n'est pas nécessairement
artistique. Nos images pieuses ne sont pas toujours des oeuvres
d'art. Mais pour atteindre l'autre coté du pont qui mène
à la transcendance, il faut traverser parfois bien des
précipices ; seul l'émerveillement permet de franchir
ce pont. Pourquoi est-ce si rare et si fragile? Pourquoi cette
sagesse, qui est une folie pour le plus grand nombre, est cachée
aux sages et aux savants, et réservée aux petits
et aux enfants, aux artistes et aux mystiques ? "
Tirés des propos sur l'art de Matisse
" Après avoir pris connaissance
de ses moyens d'expression, le peintre doit se demander : "
qu'est-ce que je veux ? " et procéder, dans sa recherche
du simple au composé, pour essayer de le découvrir.
S'il sait garder sa sincérité vis-à-vis de
son sentiment profond, sans tricherie ni complaisance pour lui-même,
sa curiosité ne le quittera pas, ainsi que jusqu'à
l'âge extrême, son ardeur au dur travail et la nécessité
d'apprendre de sa jeunesse.
Quoi de plus beau ? "
" J'espère arriver à perdre
pied et alors je ne pourrai m'en tirer que par l'inconnu. "
" Lorsque l'artiste a produit quelque chose
de bien, il s'est involontairement surpassé et ne comprend
plus. Ce qui importe ce n'est pas tant de se demander où
l'on va que de chercher à vivre avec la matière,
de se pénétrer de toutes ses possibilités
"
Yves Klein
" La peinture ne sert qu'à prolonger,
pour les autres, le " moment " pictural abstrait, d'une
manière tangible et visible. "
" Comment une charge émotionnelle
et poétique s'agrège-t-elle à la matière
colorée pour devenir une indubitable " présence
picturale " ?
" Le tableau n'est que le témoin,
la plaque sensible qui a vu ce qui s'est passé. La couleur
à l'état chimique que tous les peintres emploient
est le meilleur médium capable d'être impressionné
par " l'évènement ". Je pense pouvoir
dire : mes tableaux représentent des évènements
poétiques ou plutôt ils sont des témoins immobiles,
silencieux et statiques de l'essence même du mouvement et
de vie en liberté qu'est la flamme de la poésie
pendant le moment picturale ! "
Bazaine
Cest ce vide, cette déchirure
dans le tissu trop serré du monde que nous cherchons à
faire apparaître
sur la marge tremblante de la vérité
"L'uvre
est perpétuellement en suspens, en vol, la figure suivante
se cherche déjà dans les derniers accords de celle
qui l'a précédée, elle sera peut-être
ce que l'autre a refusé d'être en cours de route,
et, comme elle l'ignore, tout moment sera un commencement."
"Ce n'est pas
lorsqu'elle s'offre à nous comme un système clos,
une mécanique bien fermée, indéréglable
- une fin. C'est, bien au contraire, lorsque, soudain, elle nous
apparaît comme un commencement. Une naissance, un nouvel
espoir de vie.
Un reflet originel , porteur de l'énergie première,
un écho de la naissance du monde.
Elle naît à sa propre vie, qui pourra - dans les
meilleurs des cas - se poursuivre indéfiniment, renaissante
à travers les hommes et les siècles, ignorant l'usure
de l'âge, de la vieillesse.
Jeux de glaces à l'infini, elle s'enrichira de tous les
regards des générations à venir.
Il n'y a pas d'uvres " anciennes " et " modernes
" : il y a la peinture vivante de tous les temps qui est
toute entière au présent.
Cet embryon incertain, si nous avons cru le sentir bouger dans
la toile, alors nous quittons celle-ci volontiers, dans notre
hâte de commencer la toile suivante, celle qui, nous nous
en persuadons, développera l'uvre que nous attendons,
que nous attendrons toute notre vie."
" Quand j'aurai
110 ans, disait Hokusaï, je tracerai une ligne et ce sera
la vie.
La soif d'absolu n'est pas le progrès, elle est d'une autre
nature. Elle n'est pas conquête, possession du monde, elle
n'est pas action mais soumission active. Elle est transcendance,
geste de Dieu créant la vie en s'y accordant à l'avance.
Le génie, la force étrange des vieux peintres, c'est
ce pouvoir d'oubli, cet abandon total, c'est d'avoir accepté,
non sans angoisse peut-être, que la source ne peut jaillir
que du désert."
Le temps de la peinture - champs Flammarion
Gao Xingjian
LA GRANDE AISANCE
L'aisance est une fin en soi pour l'artiste.
Elle rend supportable une certaine conception de la perfection
qui se traduit en exigence. A cet impératif, l'aisance
apporte la joie. L'aisance traduit aussi un état d'intériorité.
Lorsque je peins, je suis dans mon travail, je vis à son
rythme, je baigne dans sa luminosité. L'aisance relève
de cette symbiose, de cet état de fluidité qui mêle
l'air de la musique, le souffle au geste répété
jusqu'à l'oubli de soi. Je n'ai pas besoin de résistance.
La matière ne doit pas s'opposer à moi. Au contraire,
je cherche la fusion. L'aisance n'est pas pour autant synonyme
de facilité. Au contraire, elle témoigne d'une lente
maturation qui permet de se dégager des contrariétés,
des soucis matériels, des obstacles futiles. L'aisance
est exigence : aller au-delà des limites entendues
et en tirer une joie, une jubilation qui est aussi extase. Celle-ci
est un état de calme que seule la nature apporte à
l'homme. Par l'aisance, l'homme revient dans le giron de la nature
d'où la subjectivité et l'angoisse semblent bannies.
Gao Xingjian - Le goût de l'encre Michel Draguet
Odilon Redon
Je crois avoir cédé docilement
aux lois secrètes qui m'ont conduit à façonner
tant bien que mal, comme j'ai pu et selon mon rêve, des
choses où je me suisi mis tout entier.
De Stael
La peinture, la vraie, tend toujours à
tous les aspects, c'est-à-dire à l'impossible addition
de l'instant présent, du passé et de l'avenir.
Il n'y a que deux choses valables en art : la
fulgurance de l'autorité et la fulgurance de l'hésitation.
c'est tout; l'un est fait de l'autre, mais au sommet les deux
se distinguent très clairement.
L'espace pictural est un mur, mais tous les
oiseaux du monde y volent librement. A toutes profondeurs.
Je peins comme je peux, (...) j'essaie chaque
fois d'ajouter quelque chose en enlevant ce qui m'encombre. (...)
il faut s'habituer à finir plus sans finir.
On accorde fort, fin, très fin, valeurs
directes, indirectes, ou l'envers de la valeur, ce qui importe
c'est que ce soit juste. Cela toujours; Mais l'accès à
ce juste, plus il est différent d'un tableau à l'autre,
plus le chemin qui y mène paraît absurde, plus cela
m'intéresse de le parcourir.
Federico Nicolao (à propos de la peinture
de De Stael)
Nicolas de staël, qui s'allège des
matières chargées des années précédentes
découvre l'espace, au sens cette fois-ci plus simple et
strict du mot. Il prend le parti de nous le laisser voir, dans
une délicate et absolue éclosion. Au lieu de recourir
à des artifices de construction, il le montre - surprenante
opération - en train de changer. il nous permet ainsi la
plus miracluleuse de parfois dépaysante des découvertes
: au coeur de l'art de peindre, il y a l'observation de la disparition
et du surgissement du champ même du visible. Voir l'espace
est non seulement possible, mais constitue le champ même
de la peinture.
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Extraits
" des propos sur la peinture du moine Citrouille-àmère
" de Shitao
traduction de Pierre Rickmans
Assumer ses qualités
Les anciens confiaient leurs élans intérieurs
au pinceau et à l'encre en empruntant la voie du paysage.
Sans transformer, ils s'adaptaient à toutes les transformations,
sans agir, ils agissaient ; vivant obscurs, ils ont obtenu la
gloire ; parce qu'ils avaient parachevé leur formation
et maîtrisé la vie, en enregistrant tout ce qui se
trouve dans l'Univers, ils ont été investis de la
substance même des monts et des fleuves.
Le maniement de l'encre confère la formation technique
;
La maîtrise du pinceau confère la vie ;
Les monts et les fleuves confèrent les structures organiques
;
Les lignes et les rides confèrent la capacité de
métamorphoser la peinture ;
L'Océan confère le sentiment de l'Univers ;
Une simple flaque confère le sentiment de l'instantané
;
Le non-agir confère la capacité d'agir ;
L'Unique Trait de Pinceau confère l'infinité des
traits de pinceau ;
La souplesse du poignet confère l'irrésistible manifestation
du talent.
Qui se voit conférer de pareilles facultés doit
d'abord réaliser ce qui les rend telles, et ensuite seulement
prendre le pinceau, sans quoi il restera bloqué dans l'impasse
de la superficialité grossière, et il ne pourra
mettre en uvre ces facultés selon leur destination.
C'est dans la montagne que se révèlent à
l'infini les qualités du Ciel :
La Dignité par laquelle la montagne obtient sa masse ;
L'Esprit par lequel la montagne peut manifester une âme
;
La Créativité, par laquelle la montagne réalise
ses mirages changeants ;
La Vertu, qui fait la discipline de la montagne ;
Le Mouvement, qui anime les lignes contrastées de la montagne
;
Le Silence, que la montagne recèle intérieurement
;
L'Etiquette qui s'exprime dans les courbes et les inclinaisons
de la montagne ;
L'Harmonie, que la montagne réalise à travers ses
tours et ses détours ;
La Réserve prudente, que la montagne enclôt dans
ses cirques ;
La Sagesse, que la montagne révèle dans son vide
animé ;
Le Raffinement, qui se manifeste dans la pure grâce de la
montagne ;
La Bravoure, que la montagne exprime dans ses replis et ressauts
;
L'Audace, que la montagne montre dans ses précipices terribles
;
L'Elévation, par laquelle la montagne domine fièrement
;
L'Immensité, que la montagne révèle dans
son chaos massif ;
La Petitesse, que la montagne découvre dans ses abords
menus.
Toutes ces qualités, la montagne les met en uvre
qu'en tant que le ciel l'a investie de cette fonction ; elle ne
se trouve pas investie de ces dons pour en enrichir le Ciel. De
même, l'homme met en uvre les qualités dont
le ciel l'a investi, et ces qualités lui sont propres ;
ce ne sont pas celles dont la montagne est investie. D'où
l'on peut déduire : la montagne réalise sa qualité
propre, et cette qualité ne saurait être réalisée
si, de la montagne, elle était transférée
ailleurs.
Ainsi, l'homme vertueux n'a pas besoin que la vertu lui soit transférée
de l'extérieur pour pouvoir faire ses délices de
la montagne.
Si la montagne a de telles qualités, comment l'eau n'en
aurait-elle pas ? L'eau n'est dépourvue ni d'action ni
de qualités.
En ce qui concerne l'eau :
Par la Vertu, elle forme l'immensité des océans
et l'étendue des lacs ;
Par la Droiture, elle trouve l'humilité descendante et
la conformité à l'étiquette ;
Par le Dao, elle meut sans trève ses marées ;
Par l'Audace, elle fraye sa démarche décidée
et son impétueux élan ;
Par la Règle, elle apaise à l'unisson ses tourbillons
;
Par la Pénétration, elle réalise sa lointaine
plénitude et son universelle atteinte ;
Par la Bonté, elle accomplit son jaillissement clair et
sa fraîche pureté ;
Par la Constance, elle ramène immanquablement son cours
vers l'Est.
Si l'eau, dont les qualités sont ainsi manifestées
visiblement dans les vagues de l'océan et la profondeur
des baies, ne réglait son comportement sur elles, comment
pourrait-elle ainsi envelopper tous les paysages du monde et traverser
la Terre de ses artères ?
Celui qui ne pourrait uvrer qu'à partir de la montagne
et non à partir de l'eau, serait comme englouti au milieu
de l'océan sans connaître le rivage, ou encore, serait
comme la rive qui ignore l'existence de l'océan. Aussi,
l'homme intelligent connaît-il la rive en même temps
qu'il se laisse emporter au fil de l'eau ; il écoute les
sources et se complaît au bord de l'eau.
Il ne faut rien moins que l'usage de la montagne, pour voir la
largeur du monde;
Il ne faut rien moins que l'usage de l'eau, pour voir la grandeur
du monde ;
Il faut que la montagne s'applique à l'eau pour que se
révèle l'universel écoulement ;
Il faut que l'eau s'applique à la montagne pour que se
révèle l'universel embrassement.
Si cette action réciproque de la montagne et de l'eau n'est
pas exprimée, rien ne peut expliquer cet universel écoulement
et cet universel embrassement. Sans l'expression de cet universel
écoulement et de cet universel embrassement, la discipline
et la vie (de l'encre et du pinceau) ne peuvent trouver leur champ
d'action ; mais du moment que la discipline et la vie (de l'encre
et du pinceau) s'exercent, l'universel écoulement et l'universel
embrassement trouvent leur cause, et une fois qu'ils ont trouvé
leur cause, la mission du voyage se trouve parachevée.
Lorsque l'on s'applique à la montagne et à l'eau,
il ne faut pas uvrer à partir de l'immensité,
et ainsi on pourra contrôler sa tâche ; il ne faut
pas uvrer à partir de la complexité, et ainsi
la tâche sera simple. Sans cette simplicité, on ne
saurait réaliser la complexité ; sans ce contrôle,
on ne saurait réaliser l'immensité.
L'uvre ne réside pas dans le pinceau, ce qui lui
permet de se transmettre ; elle ne réside pas dans l'encre,
ce qui lui permet d'être perçue ; elle ne réside
pas dans la montagne, ce qui lui permet d'exprimer l'immobilité
; elle ne réside pas dans l'eau, ce qui lui permet d'exprimer
le mouvement ; elle ne réside pas dans l'Antiquité,
ce qui lui permet d'être sans limites ; elle ne réside
pas dans le présent, ce qui lui permet d'être sans
illères.
Aussi, si la succession des âges est sans désordre
et que pinceau et encre subsistent dans leur permanence, c'est
parce qu'ils sont intimement pénétrés de
cette uvre.
Cette uvre repose, en vérité, sur le principe
de la discipline et de la vie : par l'Un, maîtriser la multiplicité
; à partir de la multiplicité, maîtriser l'Un
; elle ne recourt ni à la montagne, ni à l'eau,
ni au pinceau, ni à l'encre, ni aux Anciens, ni aux Modernes,
ni aux Saints. Telle est l'uvre véritable, celle
qui se fonde sur sa propre substance.
Shi tao
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du
côté des poètes et des philosophes
Hölderlin
"Qui a pensé dans la plus grande
profondeur, aime ce qu'il y a de plus vivant."
"Ce qu'on sait de quelqu'un, écrit
Bobin, nous empêche de le connaître. Ce qu'on dit,
en croyant savoir ce qu'on dit, rend difficile de le voir."
Novalis
" Si on a la passion de l'absolu, et que
l'on n'en puisse guérir, il ne restera d'autre issue que
de se contredire sans cesse et de concilier les extrêmes
absolus ". et répondre en parti à la question
du jour (enfin au cheminement qui mène à la question
du jour)."
Pessoa
"L'art nous délivre de façon
illusoire, de cette chose sordide qu'est le fait d'exister...
En art, il n'y a pas de désillusion, car l'illusion s'est
vue admise dés le début. Le plaisir que l'art nous
offre ne nous appartient pas, à proprement parler : nous
n'avons donc à le payer ni par des souffrances, ni par
des remords... Par le mot art, il faut entendre tout ce qui est
cause de plaisir sans pour autant nous appartenir : la trace d'un
passage, le sourire offert à quelqu'un d'autre, le soleil
couchant, le poème, l'univers objectif. Posséder
c'est perdre. Sentir sans posséder, c'est conserver, parce
que c'est extraire de chaque chose son essence."
George Amar - art poétique élémentaire
- journal de rivage
"Profite bien
De la phase préparatoire
Vis-la intégralement
C'est le moment le plus actif
le moment où le travail et l'être
sont comme
une lumière dans la brume
(différents mais indistincts)"
"J'ai marché dans la brume
Ma pensée était claire
Indistincte
Comme un vivant qui ne connaît pas
Son propre nom."
"Il faut fréquenter longtemps les
choses, les lieux, les êtres et les moments du monde pour
qu'ils consentent à nous prêter leur signe. Issus
de la découverte de ce qu'il y a de commun entre les choses
et nous, les signes forment un langage au moyen duquel nous pouvons
simultanément nous comprendre nous-même et lire le
monde."
"Les éléments de l'art sont
les mêmes que ceux de la vie
Et le travail universel de clarification, de cristallisation
Et de composition des éléments,
Vaut sur tous les plans de la pensée et de l'action,
De l'uvre et de l'existence."
"Mes amis trouvent souvent à mes
tableaux un caractère joyeux sans raisons particulières.
Ca tombe bien, c'est le principe le plus général
de l'art de composer auquel je songe ! un art général,
comme celui par exemple de composer ses sensations, perceptions
et affects, en tableaux d'apparences. " Matin sur le bord
de la mer " est l'un de mes favoris. Je le compose chaque
matin, avec mes jambes, mes yeux et ma pensée, avec le
vent froid et le bruit des vagues, avec l'attention portée
au plongeon du cormoran, avec le bonjour du garçon de café,
avec la solitude et mon désir d'entrer dans le poème
du monde."
"Infiniment les chemins
Contournent les obstacles
Grande étude !
Mais seule oriente la haute intuition
L'étoile sensation
La couleur de la mer à l'instant quelconque
Etrange ressource sur laquelle
On ne peut guère compter
Car elle réside aux deux extrêmes
De la Pensée-Réalité
Au centre le plus secret du Soi,
Pur sujet de l'action la plus libre
Et à l'autre bout, disséminée, aléatoire
Dans les infimes reflets de la lumière
Sur les plis du réel."
"Je me suis retourné
J'ai vu la lumière grise
Au bord de l'univers."
Pessoa (extrait de passage des heures, de
Alvaro de Campos)
Je ne sais si la vie est peu ou trop pour moi
Je ne sais pas si je sens trop ou trop peu
Je ne sais
Ce qui me manque : scrupule spirituel
Point d'appui de l'intelligence
Consanguinité avec le mystère des choses
Choc
Au moindre contact, sang affluant sur les coups
Tressaillement au moindre bruit,
Ou s'il y a pour tout cela une autre explication
plus commode et plus heureuse.
/
J'ai couché avec tous les sentiments
J'ai été le souteneur de toutes les émotions
Toutes les sensations de hasard m'ont payé à boire,
J'ai fait les yeux doux à toutes les raisons d'agir,
J'ai été main dans la main avec toutes les velléité
de départ
Fièvre immense des heures
Angoisse de la forge des émotions
Rage, écume l'immensité qui ne tient pas dans mon
mouchoir.
/
Je me suis multiplié pour me sentir,
Pour me sentir, j'ai eu besoin de tout sentir,
J'ai débordé, je n'ai rien fait que m'extravaser.
Je me suis déshabillé, je me suis donné
Et il se trouve en chaque coin de mon âme
un autel pour un dieu différent.
/
Je porte dans mon cur
comme dans un coffre trop rempli qu'on ne peut plus fermer
tous les lieux où je suis allé,
tous les ports où je suis arrivé,
tous les paysages que j'ai vus par les fenêtres ou les hublots,
ou sur les dunettes, en rêvant
et tout cela, qui est tant de choses, est bien peu au regard de
mes désirs
/
Ressentir tout de toutes les manières,
Vivre tout de toutes parts,
Etre la même chose de toutes les façons possibles
en même temps,
Réaliser en soi l'humanité de tous les instants
En un sel instant diffus, prodigue, complet et lointain.
/
Je veux toujours être ce avec quoi je
sympathise,
Et je deviens toujours, tôt ou tard,
L'objet de ma sympathie, que ce soit une pierre ou un désir,
Que ce soit une fleur ou une idée abstraite,
Que ce soit une foule ou une façon de comprendre Dieu,
Et moi, je sympathise avec tout, je vis de tout en tout.
/
Kafka
" Il est parfaitement concevable que la
splendeur de la vie se tienne à côté de chaque
être et toujours dans sa plénitude, mais qu'elle
soit voilée et enfouie dans les profondeurs invisibles,
lointaines. Elle est là pourtant, ni hostile, ni malveillante,
ni sourde. Qu'on l'invoque par le mot juste, par son nom juste,
et elle vient. C'est ça l'essence de la magie, qui ne crée
pas mais invoque. "
Norge
PEINTURE
Je trouve que la plupart des peintres peignent
un tableau qui ressemble au tableau quils auraient peint
si le tableau quils auraient voulu peindre était
absolument impossible à peindre. Est-ce que vous me comprenez ?
Parce que moi, je ne comprends pas encore très bien, mais
je sens que cest juste.
Poésies 1923 1988 Poésie / Gallimard
Carlos Drummond De Andrade
PAYSAGE: COMME ON LE
FORME
Ce paysage ? Il n'existe pas. Existe l'espace
vacant, à parsemer
de paysage rétrospectif.
La présence de la montagne, des imbaûbas,
des sources, quelle présence ?
Tout est plus tard.
Vingt ans après, comme dans les drames.
Pour l'instant, le voir ne voit pas ; le voir
recueille
des fibrilles du chemin, de l'horizon,
et même ne s'aperçoit pas qu'il les recueille
pour un jour tisser des tapisseries
qui sont des photographies
d'inaperçue terre visitée.
Le paysage va être. Maintenant c'est un
blanc
qui se teint de vert, de marron, de gris cendre,
mais la couleur ne s'attache pas aux surfaces,
elle ne modèle pas. La pierre n'est pierre
que dans le mûrissement lointain.
Et l'eau de ce ruisseau
ne mouille pas le corps nu :
il mouille plus tard.
L'eau est un projet de vivre.
Ouvrir un portail. Il grince. Indifférent.
Une vache-silence. Je ne la regarde même pas.
Un jour ce silence-vache, ce grincement
battront en moi, parfaits,
existant de face, de dos, de profil,
absolument tangibles. Quelqu'un demande à côté :
qu'est-ce que tu as ?
Et je n'ai rien
hormis le bruit-portail, la vache silencieuse.
Paysage, pays
fait de pensée du paysage,
dans la créative distance espacetemps,
en marge des gravures, des documents,
lorsque les choses existent avec violence
plus que nous n'existons : elles nous peuplent
et nous regardent, nous fixent. Contemplé
soumis, d'elles nous sommes la pâture,
nous sommes le paysage du paysage.
Carlos Drummond De Andrade La machine
du monde Nrf poésie Gallimard.
Charles Juliet - traversée de nuit
- journal II
L'aventure ne peut
se vivre qu'à l'état sauvage, loin de toute religion,
idéologie, morale, tradition... Car si le chemin qu'on
emprunte est déjà percé, nivelé, sognalisé,
si une foule s"y presse, il n'y a ni solitude ni errance.
Pour s'ouvrir son chemin, chacun doit se fabriquer ses propres
armes. Avec rien. Cette évidence que l'artiste est un maudit,
un privilégié.cques
Darriulat - cezanne et la force des choses
« On peut dire que le renversement
cézannien consiste à nous faire prendre conscience
de ce que nous avions oublié depuis longtemps, à
savoir que le sujet tient moins le monde sous son regard quil
nest exposé à la violence de son apparition,
et que dans la relation sujet-objet, cest maintenant lobjet,
longtemps tenu sous la domination des géométries
imposées par le sujet, qui prend sa revanche sur le sujet,
désormais assailli par la violence de sensations quil
est incapable de maîtriser, ou du moins ne peut y parvenir
quau prix dun effort considérable. Ce nest
plus le sujet qui dispose du monde devant lui, cest inversement
le monde qui menace dengloutir le sujet par la seule violence
de son apparition. Par cette révolution, Cézanne
rend manifeste la vanité d'un ego qui toujours imagine
que le monde est devant lui, alors que c'est lui qui se trouve
au contraire dans le monde, irrémédiablement inscrit
dans le cercle de son immanence, plongé dans l'élément
lumineux où le phénomène fait son apparition. »
Jacques Darriulat
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Autres
textes
2 novembre 2015
: pour que l'une des histoires les plus abominables du XX¨me
siecle ne recommence pas, voici un texte a lire et mediter.
Chapitre 49 Vie
et destin de Vassili Grossman (lire
tout)
Extrait
(lire
tout)
La première
moitié du xxe siècle restera l'époque des
grandes découvertes scientifiques, des révolutions,
de gigantesques bouleversements sociaux et de deux guerres mondiales.
Mais la première moitié du xxe siècle entrera
aussi dans l'histoire de l'humanité comme la période
de l'extermination totale d'énormes masses de la population
juive, extermination qui s'est fondée sur des théories
sociales ou raciales. Le monde actuel le tait avec une discrétion
fort compréhensible.
Une des propriétés les plus extraordinaires de la
nature humaine qu'ait révélée cette période
est la soumission. On a vu d'énormes files d'attente se
constituer devant les lieux d'exécution et les victimes
elles-mêmes veillaient au bon ordre de ces files. On a vu
des mères prévoyantes qui, sachant qu'il faudrait
attendre l'exécution pendant une longue et chaude journée,
apportaient des bouteilles d'eau et du pain pour leurs enfants.
Des millions d'innocents, pressentant une arrestation prochaine,
préparaient un paquet avec du linge et une serviette et
faisaient à l'avance leurs adieux. Des millions d'êtres
humains ont vécu dans des camps qu'ils avaient construits
et qu'ils surveillaient eux-mêmes.
Et ce ne furent pas des dizaines de milliers, ni même des
dizaines de millions, mais d'énormes masses humaines qui
assistèrent sans broncher à l'extermination des
innocents. Mais ils ne furent pas seulement des témoins
résignés ; quand il le fallait, ils votaient pour
l'extermination, ils marquaient d'un murmure approbateur leur
accord avec les assassinats collectifs. Cette extraordinaire soumission
des hommes révéla quelque chose de neuf et d'inattendu.
Bien sûr, il y eut la résistance, il y eut le courage
et la ténacité des condamnés, il y eut des
soulèvements, il y eut des sacrifices, quand, pour sauver
un inconnu, des hommes risquaient leur vie et celle de leurs proches.
Mais, malgré tout, la soumission massive reste un fait
incontestable. Lire
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Vassili
Grossman
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